L’étang de Berre et la culture du naturisme

La ville de Martigues a initié le projet d’inscrire l’étang de Berre au patrimoine universel mondial de l’UNESCO. Le projet officiel soutient qu’il peut y prétendre au titre de la nature ET de la culture.
Une bonne occasion pour se poser la question de la culture liée à l’étang. Le but de notre association est la réhabilitation de l’étang de Berre au profit de tous, mais derrière le refus, admis par tous nos administrateurs, de toute forme de privatisation, quelles sont les pratiques qui nous semblent bonnes et celles qui le sont moins ? Et d’abord, quelles sont celles qui sont vivantes, qu’elles soient mainstream ou plus underground ?

Nous commençons cette réflexion (quoique cet article précédent avait déjà lancé le concept sans le dire) par une « culture » qui n’est pas forcément appréciée de tous : le naturisme.

En effet sur l’étang de Berre comme en d’autres endroits de France, quelques populations se croisent dans les endroits naturels les plus reculés pour des raisons différentes :

  • les naturalistes à la recherche d’espèces naturelles (oiseaux, poissons, mammifères…) à observer dans le calme
  • les chasseurs et pêcheurs (éventuellement les braconniers…)
  • les naturistes « sauvages »
  • éventuellement les sportifs (jogging, escalade, planche à voile, kayak…)

C’est ainsi que plusieurs d’entre nous, à la recherche de zostères ou de hiboux grands ducs, ont parfois croisé des pratiquants du naturisme…

Où le naturisme est-il régulièrement pratiqué sur l’étang de Berre ?

Nous connaissons deux endroits où le naturisme est régulièrement pratiqué sur l’étang : le nord de la plage de Monteau à Istres, et le nord de la plage de Figuerolles à Saint-Mitre-les-Remparts.

carte étang plages naturistes

Le nord de la plage de Monteau (Istres)

C’est une plage relativement facile d’accès (en voiture…) mais pas très agréable pour bronzer ou avec des enfants, car elle est essentiellement faites de coquillages cassés mais encore assez gros. De plus dans la partie nord l’eau n’est pas toujours belle (voir cet article).
Nous l’aimons beaucoup car elle est adossée à une zone humide, propriété de deux ministères. Nous espérons donc la voir un jour passer au Conservatoire du Littoral. Elle est d’ailleurs passée « périmètre d’intervention » dans sa stratégie actuelle de cet organisme (voir cet article), ce qui nous laisse raisonnablement optimistes après le fiasco de la falaise (voir cet article plus ancien).
Du fait de son caractère « brut » et de la difficulté d’y aller sans voiture, elle est moins populaire que d’autres plages d’Istres (La Romaniquette ou Le Ranquet) et sa partie nord (peu visible depuis le parking, voir photo) est colonisée par des naturistes, qui laissent parfois des aménagements éphémères (voir cet article). Ils sont les premiers dans l’année à la coloniser. Il y a clairement des homosexuels en quête de rencontres, mais aussi de simples naturistes.

En haute saison, la cohabitation des naturistes avec les autres utilisateurs de la plage n’est pas toujours sans histoire et la police municipale, parfois appelée, fait alors un petit tour pour faire se rhabiller ceux qui ne le sont pas.

Un petit air du Gendarme à St Tropez à Istres. Quand on vous disait que pour une fois on parlerait de culture !

monteau naturisme 2

Le nord de la plage de Figuerolle (Saint-Mitre-les-Remparts)

Difficile d’accès (il faut marcher longtemps, ou venir en bateau) la plus belle plage de l’étang de Berre (à notre avis) est très peu fréquentée, même l’été.
En partie nord les tamaris et les pins d’Alep touchent la plage et isolent des morceaux de plage qui sont souvent colonisés par des naturistes. Il y a souvent des couples et il ne semble pas (plus?) y avoir d’homosexuels « en quête ».
La cohabitation avec les autres utilisateurs de la plage (rares, répétons-le) se passe bien et nous n’avons jamais vu ou entendu parler de problème ou de passage de police.

nord figuerolle

La culture du naturisme

Pour comprendre le concept on peut utilement regarder l’Allemagne : là-bas, surtout sur les rives de la mer Baltique, une pratique s’est formalisée au début du XXème siècle, en partie issue de l’hygiénisme. Ça a donné la FKK, la Frei Körper Kultur , qui en gros pense qu’être nu est bon pour la tête et le corps, et éventuellement le corps social.
Après-guerre cette culture fut très vivante en ex-Allemagne de l’Est (et il est possible que l’actuelle chancelière l’ait pratiquée, voir plus loin l’article du Point). A l’Ouest c’était un peu moins naturel même si c’est parfois devenu un phénomène de société : dans les années 80 dans certains jardins publics du centre de Münich ou de Berlin cette pratique s’est développée, à la grande surprise des touristes qui ne regardaient plus le Reichstag mais les naturistes de l’autre coté de la rue…
Depuis la réunification la pratique semble plus réglementée, il y a des zones FKK dans certains jardins, mais elle sont généralement discrètes. La récente immigration massive de pays musulmans provoque aussi un gros choc culturel.
Sur le sujet on peut lire cet article de 2015 de l’hebdomadaire Le Point.

Dans les années 80 également, la plupart des centres de thermalisme ont été transformés en centres de thermoludisme (avec saunas, bains à remous, toboggans et … plein de gens en pleine santé) avec des parties naturistes (FKK) souvent plus grandes et plus fréquentées que les zones «textile », à cause de la demande du public.
Dans les piscines « classiques », sous les douches collectives (mais séparées hommes/femmes), les gens retirent leur maillot pour se laver. Un autre pays, donc…
En France, un même mouvement populaire existe mais clairement moins fort, et il est donc aussi clairement plus underground :

  • le naturisme sur les plages n’est pas admis sauf exception (en Allemagne c’est globalement le contraire)
  • si beaucoup d’établissements thermaux virent au thermoludisme, on n’y trouve pas de zone naturiste, et le naturisme dans les jardins publics est quasi-inconnu dans nos villes, même si l’expérience du bois de Vincennes en 2017 a été renouvelée en 2018(suite à un vif succès sans dérapage notable).
  • Il existe des centres de vacance naturistes depuis longtemps (au Cap d’Agde, en Gironde…) mais seraient-ils rentables sans la clientèle d’Europe du Nord ? On lit parfois que la France est la première destination naturiste du monde (la fin de cet article).
  • Il existe des plages réservées aux naturistes. Elles sont gérées par la Fédération Nationale de Naturisme pour laquelle il faut être parrainé pour entrer. Une telle plage existe depuis longtemps à Martigues-Bonnieu.
  • Enfin il y a du naturisme « sauvage » qui s’installe parfois au point d’être accepté, d’abord par les gens en général puis parfois par les autorités locales.

Les plages gérées par des associations sont parfois payantes, mais ça permet de les garantir sans voyeurs. Les plages à naturisme « sauvage » peuvent être fréquentées par des gays en quête de rencontres (des naturistes finalement assez militants, mais particuliers…), des voyeurs… La liberté a ses défauts…

Quel devenir possible pour le naturisme de l’étang de Berre ? Quelques comparaisons utiles.

Comparaison n°1 : le « naturisme de tradition » d’une calanque près de Sugiton
C’est une plage assez difficile d’accès mais bien agréable près de la calanque de Sugiton.
Le naturisme y est ancien (avant 1970) et il est organisé : on peut y voir des parterres de fleurs grasses, manifestement plantées.

plage naturiste calanquesugiton 2nudisme de tradition.jpg

Un peu plus loin, à Cassis, le naturisme bénéficie d’une « tolérance municipale » sur la côte au lieu-dit les pierres blanches. Du coup le lieu est référencé sur le site de la FFN
Plus près de nous, à Ensuès-La-Redonne, le site de la FFN indique la même tolérance dans une calanque de la côte bleue, celles des Anthénors, mais nous n’avons pas vérifié (mais ce récent article de France 3 le confirme)

Comparaison n°2 : la plage de Merville-Franceville en Normandie

Un précédent article a indiqué aux lecteurs de ce blog que je viens de ce joli coin de France.
L’embouchure de l’Orne est une zone qui nous intéresse dans une comparaison avec l’étang de Berre car elle est fréquentée par :

  • les naturalistes du fait de la présence de nombreux oiseaux marins ou limicoles, d’une petite colonie de phoques-veaux marins depuis quelques années. L’endroit est aussi un des rares endroits de la côte du Calvados présentant un faciès naturel, avec de plus une progression rapide de la côte, ce qui fait que le parking est de plus en plus éloigné de la plage, et que sur le chemin du retour on traverse des dunes de plus en plus âgées et qu’on peut suivre dans l’espace la succession écologique locale (différentes espèces végétales, de plus en plus grandes, colonisées par des oiseaux différents).
  • les pêcheurs de palourdes et de coques (à marée basse)
  • les kite-surfeurs (à marée haute)
  • les naturistes (en été et quand le soleil donne)
  • les chasseurs (en hiver)

Bref des populations assez proches de celles que nous avons sur l’étang de Berre.

Ces populations se respectent : quand les naturistes sont là, les autres contournent simplement les zones qu’ils fréquentent. Et c’est sans doute parce qu’il n’y avait pas de problème notable que la mairie a fini par sortir (en 2005) un arrêté qui officialise le naturisme sur une partie de la plage et des dunes. Il y a désormais des panneaux indicatifs et une association s’est créée pour gérer et surveiller le site.

Ça ne change rien à la situation sur place, c’est juste une régularisation de la façon dont les gens vivaient.

L’histoire a dû se dérouler sur une bonne trentaine d’années, sans doute davantage.
La photo ci-dessous a été extraite de ce forum spécialisé

plage merville-franceville 2 reduit

Comparaison n°3 : la plage de la Mama à Miribel-Jonage près de Lyon

Ce dernier exemple est plus proche, et l’échelle de temps plus proche du cas de l’étang de Berre. Il s’agit de la plage de « la Mama » située dans le Parc de Miribel-Jonage près de Lyon.
Le parc de Miribel Jonage est un parc de 150 ha à 10 km au nord de Lyon. Il est situé entre 2 bras du Rhône, à un endroit où il a longtemps divagué. Cette espace a longtemps servi de gravière (extraction des granulats). Il en reste une série de lacs artificiels traversé par une petite fraction des eaux du Rhône. Le tour du plus grand d’entre eux fait 10 km.
Dans les années 1980, la ville de Lyon a acheté ce gigantesque espace pour en faire une zone de loisirs. Il a émis les premières concessions de paillotes situées en face de ce qui ressemblait vaguement à des plages. Le « parc » ressemblait alors encore beaucoup à une carrière avec des arbres rachitiques et des pistes de chantiers.
Les premières populations à le fréquenter furent :

  • les joggers (10 km de piste plate sans voitures et sans goudron sont une aubaine)
  • les vttistes
  • les footeux et les adeptes du barbecue coté sud-est (coté Vaux-en-Velin, banlieue de Lyon très populaire et à forte immigration, notamment maghrébine)
  • les naturistes sur toute une frange Nord-Ouest (coté Miribel), cette frange pouvant parfois atteindre un linéaire de 2km de littoral centrés sur la plage de « la Mama ».

Cette dernière population était sans doute la moins attendue et le nombre des pratiquants a dû surprendre nombre d’élus locaux et concepteurs du parc.
La situation a duré une quinzaine d’années avant qu’un arrêté municipal ne vienne réglementer la pratique. Cet arrêté a

  • autorisé la pratique du naturisme sur la plage de la Mama sur un linéaire d’environ 400m
  • décidé le confinement de cette zone derrière des arbres et avec deux accès en chicane

Cette zone peu à peu (re)colonisée par la nature et les hommes ressemble un peu à l’étang de Berre, non ?

plan mama

Il s’agissait pour le respect des « bonnes mœurs » et de « l’ordre public » que les naturistes ne soient plus vus des autres utilisateurs du parc.
Cette situation perdure dix ans plus tard. La Mama est une plage très fréquentée comme en témoigne la photo ci-dessous prise ce printemps 2018.

photo mama

photo mama 2

 

Conclusion 1 (générale) – Une succession sociale comparable à une succession écologique

Imaginons une plage plutôt difficile d’accès, largement délaissée un temps pour une raison quelconque (pollution, privatisation…) et présentant l’avantage de quelques endroits « discrets », elle sera colonisée dans l’ordre suivant :

  1. d’abord des homosexuels (hommes) pratiquant le naturisme mais dont les vrais buts sont les rencontres voire les actes sexuels. Ils seront les premiers historiquement (puis les premiers dans l’année ou dans la journée) dans un souhait évident d’une certaine discrétion. En terme d’écologie on parlerait d’espèce pionnière.
  2. assez vite par des naturistes « simples », au début éventuellement des hommes , puis des couples. Cette seconde population, si elle s’accroît trop, aura tendance à faire fuir la population homosexuelle vers d’autre lieux encore plus difficiles d’accès. Si la population des naturistes « simples » grandit, elle va s’installer et s’autogérer (aménagements divers, jardinage, pancartes, lobbying) le nombre de femmes augmente. Au bout de quelques années, la reconnaissance officielle peut tomber.
  3. mais la population naturiste peut aussi refluer si une population « textile » suffisamment grande vient la perturber. Si les naturistes ont un autre endroit où aller, ils partiront facilement et on basculera dans un « stade 3 » très différent, dans le cas contraire il y aura quelques conflits ou alors on assistera à un partage spontané et une partie au moins de la plage pourra rester au stade 2.

Conclusion 2  (locale) – Une culture acceptée localement et une demande

Sur l’étang de Berre la situation est déjà ancienne, assez stable et connue de tous et sans nul doute des élus. Pas vraiment de problèmes semble-t-il à part peut-être de temps en temps sur la plage de Monteau.
Une « régularisation » du type de Merville-Franceville ou de La Mama interviendra-t-elle?  Cela permettrait d’être référencé dans les sites officiels et d’attirer les touristes en quête de telles plages. Il y a peut-être une demande, car « naturisme étang de Berre » est une demande assez fréquente sur les moteurs de recherche et aboutissant sur ce blog (plus précisément sur le vieil article sur les plages de l’étang). La fréquentation du présent article nous en dira un peu plus…
Mais l’étang de Berre attirait jusqu’ici très peu de touristes extérieurs : les naturistes actuels sont locaux et à l’origine de la « spécialisation » des 2 plages de Monteau et Figuerolles. Il y une demande locale, parfois étonnante. J’ai fait personnellement la rencontre suivante au nord de Figuerolles : un couple dont la femme était tétraplégique et que son compagnon avait donc amenée jusque-là en fauteuil (belle performance), pour la déshabiller et lui faire prendre le soleil et le bain (!) avec toute l’attention que cela pouvait impliquer pour une tétraplégique.
Apparemment l’amour avait résisté à un accident tragique.

On verra bien comment évolueront les 2 plages naturistes actuelles de l’étang de Berre,. Il n’est pas dans le but de notre association d’interférer dans ce type d’évolution. Mais à titre « scientifique », c’est amusant à observer…

Un peu de la culture vivante de l’étang de Berre…

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