Faut-il pomper à travers le bouchon du tunnel du Rove?

La réouverture du tunnel du Rove (le pompage d’eau de mer à travers le bouchon de son effondrement) est un serpent de mer de la politique écologique de l’étang de Berre. Des prises de parole à haut niveau laissent imaginer que cette histoire arrive prochainement à son terme. Il n’y a aucune certitude à cela mais c’est l’occasion de faire le point sur ce sujet.

Petite présentation du canal et du tunnel du Rove

Le canal du Rove a été construit au début du XXe siècle. Il faisait partie du « canal de Marseille au Rhône » dont le but était de permettre à des péniches fluviales d’aller du port de Marseille (alors situé à la Joliette) au Rhône en évitant la mer (avec ses vagues) et le delta du Rhône (avec ses bancs de sable).
Son originalité est de traverser la chaîne de la Nerthe par un tunnel de 7 km de long. Le canal part ainsi de l’Estaque directement dans le tunnel, qui passe sous la ville de Gignac avant de déboucher à Marignane. Le canal continue alors par une tranchée jusqu’à la rive sud de l’étang de Bolmon puis celle de l’étang de Berre.

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Le tunnel est pharaonique. Sa partie émergée est une demi-cylindre de 22 m de diamètre (11m sous la voûte) ce qui en fait un des tunnels les plus larges du monde. Il y a des 2 côtés des voies de 2m de large, sa largeur navigable était de 18m, permettant à 2 péniches de se croiser… Le gros du chantier débuté en 1911 et fini en 1926 a notamment été fait pendant la première  guerre mondiale, par des ouvriers immigrés, espagnols notamment, avec des marteaux-piqueurs (pas de tunneliers à cette époque…).

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interieur-tunnelLe tunnel s’est effondré en 1963 à l’endroit d’une poche de roche moins stable (repérée dès la construction ! + voir localisation sur la première image). Il n’a pas été reconstruit car il avait perdu son utilité avec le déplacement du port de Marseille à Fos-sur-Mer.

État écologique actuel

Depuis l’effondrement de 1963, le canal est constitué de 2 bras morts qui ne communiquent plus entre eux (l’éboulement a eu lieu sur 200m env et depuis les travaux de consolidation, il y a désormais 400m entre la fin d’un bras et la fin de l’autre).

Le bras sud (qui part de la rade de Marseille et fait 5km de long dans le tunnel) est constitué d’eau étonnamment claire toute l’année. Elle est manifestement pauvre en nutriments et en plancton, et donc loin de souffrir d’eutrophisation. Nous n’en parlerons pas davantage.

Le bras nord (qui a 2km sous le tunnel et 10 km en aérien) est dans un état bien différent : son eau est généralement trouble, souvent verte ou jaunâtre, comme l’étang de Bolmon sur la photo aérienne (la même que précédemment, grossie, elle date de mars 2016).

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On voit en effet que l’étang de Berre et l’étang de Bolmon ont des couleurs bien différentes: l’étang de Berre est bleu, alors que l’étang de Bolmon est vert. Cela vient un peu du fait qu’ils ont des profondeurs différentes, mais surtout que l’étang de Bolmon souffre d’eutrophisation (trop de nutriment et développement massif de phytoplancton) alors que l’étang de Berre va clairement beaucoup mieux.

L’eutrophisation du Bolmon vient largement du fait qu’il reçoit les effluents de la station d’épuration de Marignane et la rivière Cadière et que c’est trop à digérer pour lui.

On voit que le canal du Rove a sur la photo une couleur verte comparable à celle de l’étang de Bolmon: il souffre également d’eutrophisation. Il faut dire que l’eau du Bolmon se déverse dans ce canal (et peut-être y a-t-il d’autres effluents « sauvages »). Il est néanmoins souvent moins coloré, mais le 23 février 2017 (date de la photo ci-dessous) on voit que le canal (à gauche) est nettement plus coloré et trouble que l’étang de Berre (à droite).

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Sur la photo suivante (prise 2 jours plus tard) le canal est plus bleu que l’étang de Bolmon et presque aussi bleu que l’étang de Berre…

canal-et-bolmon

L’anse de la Mède (en bas à gauche de la photo précédente) est moins colorée que le canal, l’eutrophisation y est moins nette. C’est par cet anse que l’eau sort du canal et rejoint l’étang de Berre.

Bref l’ensemble constitué de l’étang de Bolmon, du canal du Rove et de l’anse de la Mède constitue de fait un système d’épuration par lagunage des eaux de la Cadière et de la STEP de Marignane, avant rejet dans l’étang de Berre. Le parallèle avec une image aérienne de station d’épuration par lagunage comme ci-dessous celle de Rochefort (image tirée de ce site) est frappant.

lagunage-rochefort

Faut-il pomper de l’eau de mer à travers le bouchon du tunnel du Rove?

Si on souhaite améliorer l’état écologique du canal du Rove, le mieux serait de réduire à la source la quantité d’effluents qui arrive dans l’étang de Bolmon, en améliorant les performances de la STEP de Marignane ou de celles qui se déversent dans la Cadière.

Si on pompe de l’eau de mer (pauvre en nutriment mais pleine d’oxygène) à travers le bouchon de l’effondrement du tunnel, on diluera la pollution et on l’entraînera vers l’étang de Berre. Or officiellement (selon le GIPREB, nous sommes moins négatifs…) l’étang de Berre souffre encore d’eutrophisation ! Ce serait donc a priori négatif d’effectuer le pompage. Mais l’apport d’oxygène permettra peut-être une auto-épuration plus rapide… Cela dit à notre avis l’étang de Berre ne souffre plus d’eutrophisation, et surtout pas en partie sud.

Officiellement, le pompage d’eau de mer à travers le bouchon a pour but de remonter la salinité de l’étang de Berre, mais les débits annoncés (entre 5 et 20 m3/s, et sans doute plutôt 5 m3/s ce qui serait sans doute mieux du fait des polluants supposés au fond et qu’il serait souhaitable de ne pas trop remuer) n’auront sans doute aucun impact de ce point de vue (même si 5m3/s sur l’année font 160 millions de m3/an, soit l’équivalent de la rivière Arc).

Enfin s’il s’agit de recoloniser l’étang de Berre par des espèces marines, le pompage sera sans doute une bonne chose.

Il le sera peut-être. Peut-être aussi par l’apport d’oxygène, puisque le GIPREB continue à mesurer des périodes d’anoxie de ces parties profondes, notamment en été (en supposant que tout l’oxygène ne soit pas consommé pour la dépollution des effluents venant du Bolmon…)

Conclusion

Le pompage d’eau de mer à travers le bouchon de l’effondrement du tunnel du Rove ne devrait pas faire de mal à l’étang de Berre, même si une partie de la pollution organique de l’étang de Bolmon devrait s’y retrouver envoyée.
On peut imaginer que ça lui ferait du bien, mais sans doute plus par ensemencement d’organismes marins ou par apport d’oxygène l’été que par apport de sel.
Mais c’est au canal du Rove lui-même que ça fera le plus de bien. Il devrait y perdre sa couleur verte et gagner en transparence (avec toute l’amélioration de biotope qui s’en suivra), ce que tous les riverains et les promeneurs apprécieront !

Rajout du 5 mai 2017 : réuni le 5 avril 2017, et suite à discussion sur le choix public à faire de pomper 4, 10 ou 20 m³/s, notre conseil d’administration s’est dit favorable à une expérimentation à 4 m³/s (sans passer par le Bolmon). Cette option, la plus conservative écologiquement (mais les risques à pomper davantage sont réels, en terme d’entraînement de pollution et de perturbation du milieu) a l’avantage de s’approcher du budget prévu au contrat d’étang.

6 commentaires

  1. bonjour,

    avant la création de ce canal, l’étang vivait sa vie, avez-vous fait des recherches pour établir quel était son état biologique, mes échos sont tous paradisiaques, alors si les agglomérations qui le bordent et les autres, s’en servent comme exutoires et par la même en font un égout à ciel ouvert, pourquoi ne pas leur faire payer les réparations, ou du moins qu’ils cessent d’en jouir comme exutoire ?

    JC PUJOL

    • Les étangs de Berre et de Bolmon ont eu une longue vie. Il est vrai qu’avant la mise en route en 1966 de la centrale EDF de Saint-Chamas et de ses énormes déversements d’eau douce, la biodiversité de l’étang de Berre était bien supérieure. Ces déversements ont été limités en 2006 à un niveau supposé par nous acceptable pour que l’étang se remette.
      Entre temps, les villes et l’industrie se sont développées autour des 2 étangs et leurs effluents ont également crus. Vue la fragilité du milieu récepteur, les déversements urbains ne sont pas forcément suffisamment traités. Une amélioration de certaines STEP, notamment Marignane, serait sans doute souhaitable. On peut demander d’aller au delà des normes, mais ce sera un long travail (je ne vois pas la mairie de Marignane le faire spontanément…)

  2. bonjour
    question toute bête.. pourquoi pomper au lieu de réparer la zone sinistrée ?
    Les travaux de réparation auront un certain coût, que j’imagine élevé mais concentré en début d’opération, alors que le pompage entrainera un coût moindre d’installation mais avec un coût permanent d’entretien des pompes et en énergie.
    D’où quel bilan chiffrée et étayé (pas des « c’est trop cher » pour éluder le problème) en terme de coût a été fait pour un tel choix ? Je n’en ai jamais vu.
    peut être que c’est l’étude annoncée par mme la ministre SR qui le fera.
    Il y a le bilan en terme de coût mais aussi les résultats escomptés sur la qualité de l’eau et la biodiversité rétablie (du moins espérée) C’est l’ensemble des 2 qu’il faut étudier. Se concentrer sur le coût seul est un non sens.

    • Ta question est tout à fait pertinente, mais la réparation du tunnel, c’est à dire sa réouverture à la navigation, n’est pas à l’ordre du jour.
      Une des raisons serait que Marseille a très peur de recevoir l’eau de l’étang de Berre supposée pourrie (ce qui n’est plus vrai mais ils semblent toujours le croire, c’est assez vrai pour l’étang de Bolmon), donc le projet actuel est un pompage unidirectionnel (de Marseille vers l’étang).

  3. Bonjour, je suis en vacances à Saint Chamas pendant 1an ou 2, j’ai lu le petit livre sur l’étang nouveau, et beaucoup apprécié tout ce que vous faites pour réhabilité l’étang, c’est toujours terrible de voir que pour des spéculation financières ou politiques on détruit la nature.
    2 Questions : j’ai entendu que l’étang de Berre avait été proposé pour être inscrit au patrimoine de l’UNESCO?
    Enfin j’aime la pêche, quel en est sa réglementation? L’autre jour j’ai vu proche du port de Saint Chamas des quantités de moules accrochées aux rochers sont elles comestibles?
    Merci bien

    • les professionnels les pêches, je doute fort que ce ne soit que pour la graine, lollllllllllll
      Mais eux ont des équipements d’épuration, et des droits.
      Vous reste plus qu’à goûter et à nous dire.

      PS: le ramassage des palourdes, pour la consommation personnelle, est autorisé et règlementé dans l’étang

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